Renault Frégate, le haut de gamme Français est-il maudit ?

Ce n’est pas faute d’avoir essayé, depuis la deuxième guerre mondiale, nos constructeurs généralistes français ont aspiré à plusieurs reprises d’investir le haut de gamme, ce que l’on nomme aujourd’hui le premium. Avec quel succès ? Vous le savez, très mitigé. Chez Peugeot, la finition de la 604 et la fiabilité des débuts de la 605 n’ont pas permis de se hisser au niveau de Mercedes. Chez Renault, le hayon de la 30 faisait trop utilitaire et le style de la Vel Satis était trop clivant. Chez Citroën, la XM a souffert des mêmes maux que la 605 (base technique commune). Néanmoins, grâce aux DS et CX, la marque a réussi à se bâtir une image reconnue, au moins technique. Mais, il faut bien se rendre à l’évidence, aucun d’eux n’a réussi à se forger une image aussi forte que celle des trois allemands Audi, BMW et Mercedes devenus de véritables références dans le monde entier. J’appelle cela la malédiction française du haut de gamme !

Avant d’aborder le sujet de la Frégate, revenons sur le contexte de sa sortie. Après la guerre, il fallait tout reconstruire, mais les matières premières manquant, le redémarrage de l’industrie sera réalisé à l’aide du plan Pons, qui va arbitrer les rôles de chacun, afin de répondre aux besoins tout en évitant les doublons. C’est ainsi que l’on va assigner aux constructeurs français les niveaux de marché : à Renault les véhicules d’entrée de gamme, à Peugeot le milieu et à Citroën le haut. Cette répartition n’est pas fortuite mais tient compte des compétences et des produits déjà en place dans les catalogues. Le rôle de Citroën étant dicté par l’existence de la Traction par exemple. Mais cette implication du gouvernement n’est pas au goût de tous, à commencer par la marque aux chevrons dont le plan susnommé lui interdisait de mettre en route une voiture déjà bien avancée dans ses études, la fameuse 2CV. Néanmoins et après négociations, Citroën finira par sortir son bas de gamme remettant, de fait, en cause le plan du gouvernement. Ceci fera les affaires de Renault, dont le succès retentissant de la 4CV, lui donnera des ailes pour investir le haut de gamme censé être plus rémunérateur. Le patron de l’époque, Pierre Lefaucheux, va confier à son ingénieur Fernand Picard l’étude du projet 108. Celui-ci imagine une grosse 4CV, dont il était déjà en charge, avec un moteur à l’arrière et un style faisant penser à la Tatra tchéquoslovaque. Mais très vite des problèmes se font jours, avec entre-autres, un refroidissement du moteur insuffisant nécessitant des modifications trop profondes de la carrosserie grevant l’esthétique tout en remettant en cause l’habitabilité prévue pour six personnes. Le projet, stoppé, doit repartir sur de nouvelles bases plus saines et plus en adéquation avec l’objectif visé, soit un véhicule capable de contrer la Traction ainsi que les Simca d’inspiration très américaine. Le choix technique va se porter sur une architecture beaucoup plus moderne avec un nouveau moteur de 2 litres placé à l’avant, quatre roues indépendantes mais en conservant la transmission aux roues arrière, le tout habillé d’une carrosserie classique mais jugée élégante et permettant d’y loger ces fameuses six personnes. Voilà le projet relancé sur de bonnes bases, mais il y a un problème de taille, le délai originel de lancement doit être conservé alors que l’on a perdu beaucoup de temps sur le projet 108, Lefaucheux met la pression afin que le projet 110 soit mis sur le marché fin 1951 dans le but de contrer de nouvelles concurrentes à venir, sans parler de sa crainte de voir son projet annulé par le gouvernement par suite des tensions en Corée et Indochine. Il se dit que certaines usines Renault pourraient être réquisitionnées !

Les ingénieurs vont travailler dans l’urgence, bâclant les tests faute de temps, ainsi, la voiture n’est pas totalement au point et les premiers clients feront, bien malgré eux, office de metteurs au point ! La boite de vitesse est trop bruyante, la carrosserie manque d’étanchéité, le moteur consomme trop d’huile, des vibrations gênantes apparaissent, la direction a des réactions inattendues et j’en passe. Renault est obligé de réagir et met en place « l’opération 53 » qui va remettre à niveau toutes les Frégates déjà vendues. Les coûts de cette action sont exorbitants et mettrons à mal la rentabilité du modèle. Sans compter la dégradation de l’image de cette Frégate, qui rendront les clients potentiels frileux et, qui obligera à faire d’incessantes publicités et opérations commerciales onéreuses pour soutenir les ventes. Renault visait 250 véhicules par jour avec un seuil de rentabilité fixé à 150/jour, mais celui-ci est en réalité à 200 avec, de plus, une faible marge de 3,75 %, peu en rapport avec les 7,5 % attendus.  Les ventes, quant à elles sont loin de ces chiffres, 130 véhicules/jour à l’été 1952 contre moins de 100 début 1953 ! Les pertes s’accumulent, Renault va réagir en proposant un modèle dépouillé baptisé « affaire », vendu 100.000 FF de moins que le modèle initial, rebaptisé « Amiral », placé lui à 899.600 FF (comparable au tarif de la Traction 15CV). Les ventes repartent enfin à la hausse et vont même bénéficier d’un effet d’aubaine avec l’annonce de la prochaine DS par L’Auto-journal qui aura pour conséquence de faire baisser celles de la Traction ! Mais cela ne dure qu’un temps car Simca présente ses Versailles, Trianon et Régence qui vont directement entrer en concurrence avec la Frégate. Renault, pris de surprise, est à nouveau contraint de baisser les tarifs de sa Frégate afin de résister ! Malgré toutes ces péripéties, le constructeur continue néanmoins d’animer la gamme avec une version break « Domaine » et une version luxueuse « Grand Pavois », toutes deux lancées en 1955, année de présentation de la DS qui va faire grand tort à la Frégate ! Le modernisme de la Citroën correspondant mieux à ce qu’attend une clientèle friande de véhicules haut de gamme ! En 1957, les cadences de la Frégate vont plonger à 50 véhicules par jour et Renault, perdant trop d’argent, jette finalement l’éponge en 1960.

A travers cet exemple, on constate que la malédiction du haut de gamme en France frappait déjà dans les années cinquante. Mais les premiers responsables de cette infortune ne sont-ils pas les constructeurs eux-mêmes ? En mettant sur le marché des véhicules non-aboutis, au concept déphasé par rapport à un type de marché ou au style particulier, ils ont joué avec le feu. Mais il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas été aidé par les différents gouvernements qui se sont, tantôt trop, tantôt pas assez, préoccupés de l’industrie automobile française ! Terminons toutefois sur une note malgré tout positive : outre Citroën qui a rencontré une certaine réussite, n’oublions pas que la Renault 25 en était une aussi, mais uniquement sur le marché français !

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