Encore une voiture dont le destin est intimement mêlé à la politique industrielle d’un pays : après la Chrysler Sunbeam sauveuse d’usine en Angleterre (voir mon article du premier décembre 2019), voici l’Alfasud qui entre-autre, aura pour mission de soutenir l’activité industrielle du sud de l’Italie ! Ceux qui s’intéressent à ce magnifique pays, savent qu’il est divisé peu ou prou en deux parties : le nord industriel et riche et le sud plus agricole mais également plus pauvre. Cela ne date pas d’hier et lorsqu’il s’est agi pour Alfa-Romeo de compléter sa gamme vers le bas, la marque va profiter des subventions de l’état afin de construire l’usine située à Pomogliano d’Arco proche de Naples. Vous saisissez ainsi de suite l’origine de son nom de baptême. Mais le but premier de la marque n’est évidemment pas de créer de l’emploi en Italie du sud mais bien de développer sa gamme. Jusqu’à présent, elle produisait des berlines, des coupés plutôt à caractère sportif et situés en milieu et haut de gamme. La direction ayant bien senti l’essor démocratique que l’automobile prenait dans les années soixante, elle va décider d’investir un segment de marché encore inconnu pour eux. Ceci au grand dam de Fiat qui va se retrouver avec un sérieux concurrent sur son marché de prédilection, Alfa cassant ainsi le sorte de « gentlemen agreement » passé antérieurement avec la famille Agnelli : à Fiat les petites voitures populaires aux forts volumes, à Alfa les moyens et hauts de gammes aux volumes plus faibles mais aux marges plus fortes. Les ingénieurs d’Alfa-Romeo vont développer un produit techniquement très abouti et moderne pour son époque. Prenons l’exemple du moteur boxer quatre cylindres à plat très compact, permettant d’être placé en amont du train avant sans augmenter le porte-à-faux de manière démesurée, évitant ainsi de le disposer transversalement tout en garantissant un bon équilibre des masses. Ce moteur de caractère fera d’ailleurs tout le sel de l’Alfasud, perpétuant ainsi la bonne réputation de vivacité connue sur les autres modèles de la marque. Le tout sera habillé par une carrosserie dessinée par Giorgetto Giugiaro qui elle aussi va se démarquer des classiques trois volumes des concurrentes de l’époque. On aura à faire à une deux volumes avec arrière « fast-back » tronqué, aux porte-à-faux réduits, aux proportions harmonieuses et bien campée sur ses quatre roues. L’Alfasud sera présentée en 1972 et les premiers essais par les journalistes automobiles sont unanimes : la voiture est bien née, plaisante à conduire, dynamique et on rend son volant à regret. Seul bémol, les 63 ch DIN du moteur de 1186 cm3 laissent un peu sur sa faim car le châssis en supporterait bien plus.

Evidemment, Alfa-Romeo ne va pas rester sur cette configuration et proposera des évolutions comme la version TI, uniquement disponible en deux portes, qui nous intéresse aujourd’hui. Au départ timide, la première évolution de 1973 consistera en une augmentation de puissance de seulement 5 ch DIN mais associée à une boite cinq vitesses, inédit dans le segment à l’époque. En 1977, la cylindrée passe à 1286 cm3 et la puissance à 75 ch DIN puis en 1979, nouvelle évolution à 1351 cm3 et 79 ch DIN. La même année est proposée une version 1490 cm3 de 84 ch DIN en alternative à la 1,3 l. Lors du gros restylage de 1981 les puissances des 1,3 et 1,5 l passent respectivement à 86 et 95 ch DIN. Enfin, ultime développement avec la Quadrifoglio Verde en 1983 et ses 105 ch DIN, ces différents changements suivent la concurrence des petites sportives toujours plus présentes sur le marché.

Le tableau pourrait être parfait s’il n’y avait cette mauvaise réputation de rouille qui colle aux basques de l’Alfasud. Vous allez me dire que le mal touchait quasiment toutes les voitures commercialisées dans les années 1970. Certes oui, mais les Alfa du sud étaient plus touchées par le phénomène que celles du nord. Pourtant, on utilisait les mêmes tôles, les mêmes traitements qui plus est dans un appareillage plus moderne et récent par rapport au nord. L’explication se trouve dans le non-respect des procédures par les ouvriers du sud n’ayant pas une culture industrielle très développée. De plus, certains cumulant leur emploi d’ouvrier avec celui d’exploitant agricole, ils privilégiaient ce dernier en fonction des saisons impliquant un taux d’absentéisme important. Il n’était donc pas rare que des carrosseries assemblées soient stockées à l’extérieur avant peinture, laissant l’humidité commencer son travail de sape… Au-delà de ce problème de rouille, la finition et l’assemblage n’étaient pas des meilleurs, alimentant ainsi la mauvaise réputation des fabrications transalpines. Une anecdote : le réputé magazine « Auto-Journal » testait de manière totalement anonyme certains modèles phares sur 50.000 km. Le bilan de l’Alfasud n’était pas reluisant car les points suivants ont du être dépannés et corrigés : remplacement des bielles et du vilebrequin à 34.000 km, réglage du train avant, équilibrage du freinage, réglage de la porte conducteur et… apparition de points de corrosions !

Mais il ne faudrait pas réduire l’Alfasud à sa fiabilité car d’une part, nombre de ses concurrentes de l’époque subissaient également des avaries et d’autres part, elle délivrait un réel plaisir de conduire à son conducteur exacerbé avec les moteurs les plus performants de la gamme. Bien conçue et bien dessinée dès le départ, elle saura rester dans le coup face à ses concurrentes toujours plus nombreuses et modernes tout au long de ses douze années d’existence. L’ambition de départ avec trois cent mille véhicules par an était très élevée et ce chiffre ne sera jamais atteint, la meilleure année étant 1974 avec cent mille unités. Au final, il y aura un peu plus de neuf cent mille Alfasud produites, ce qui au regard du petit constructeur qu’il était, est plutôt honorable puisqu’elle aura permis de doubler la production totale d’Alfa Romeo. La part des TI est, avec plus de 185.000 exemplaires, non négligeable et démontre un beau succès pour cette version.

Si vous cherchez une Alfasud aujourd’hui, il va falloir vous lever de bonheur car elle est devenue très rare, la côte d’une TI se situe entre 11.000 € pour une phase 3 et 16.000 € pour les phases 1 et 2 (source magazine Youngtimers).
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