Mercedes W123 : indestructible !

Nous sommes le dimanche 6 avril 1980 dans la famille Wagenfratz (1) au cœur du vignoble alsacien. En ce dimanche de Pâques, après avoir ingurgité le gigot d’agneau Pascal, la conversation tourne rapidement sur le sujet de la bagnole. Il faut dire que dans cette famille, on a les moyens de sa passion : le père Marcel, Citroëniste invétéré, après avoir usé des tractions et des DS, roule en CX 2400 Pallas. Les fils, influence de l’Allemagne proche oblige, ont choisi de voir de l’autre côté du Rhin au grand dam du patriarche. Le cadet Pierre, ayant repris l’exploitation viticole, « jeune » homme dynamique de 40 ans, épicurien dans l’âme, svelte et sportif a jeté son dévolu sur une BMW 528i. Son frère Jean, de trois ans son ainé, à la tête d’une scierie, d’un caractère plus réservé, plus sérieux est tombé sous le charme de la rigueur des berlines Mercedes. Enfilant les kilomètres comme des perles pour son boulot, il était assez naturel d’opter pour un placide mais robuste W123 en version 240 D acquis dès la sortie de ce dernier quelques années auparavant :

Pierre : – Alors Jean, tu ne voulais pas changer de voiture prochainement ?

Jean : – Oui, la mienne a passé la barre des 100.000 km, elle est sans doute capable d’en faire beaucoup plus, mais je préfère la changer avant les grosses réparations du type embrayage.

– Tu partirais sur quoi ?

– Oh ben, je vais reprendre une Mercedes.

– Tiens tu m’étonnes, tu ne voudrais pas essayer autre chose ?

– Tu penses à quoi ?

– Ben, si tu restes en Diesel, il y a Peugeot qui propose maintenant la 604 D Turbo de 80 ch. qui file quand même à 155 km/h. Pour un diesel ce n’est pas mal et ça te changerait de tes 65 ch. et 140 km/h.

– Ouais j’étais content de ma 504 d’il y a quelques années mais depuis que je roule en Mercedes, j’ai du mal à voir ailleurs.

– Et une BMW comme-moi ?

– Mais chez BM, il n’y a pas de diesel et puis je n’ai pas envie de rouler dans une voiture de gangster !

– Voiture de gangster ? Qu’est ce qui te fait dire ça ?

– Ben, Mesrine, il roulait bien en série 5 comme-toi !

– Oui mais faut pas en faire une généralité quand même ! Tous les gangsters ne roulent pas en BM et toutes les BM n’appartiennent pas aux gangsters, la preuve par moi !

– C’était pour te taquiner… Tu me parles de la puissance de la 604 mais chez Mercedes il y a la 300D qui a la même puissance, avec ses 150 km/h elle est un peu moins rapide mais de toute façon, avec les barbecues (2) qui pullulent aux bords des routes maintenant, faut quand même faire gaffe.

– Ouais, c’est sûr qu’il y a dix ans à peine, on pouvait encore rouler librement… Mais si tu regardes bien, la 604 dispose de plus de couple : 18,8 mkg à 2000 tr/mn au lieu de 17,5 mkg à 2400 tr/mn. C’est un gage de souplesse et de reprise, pour un mec qui fait des bornes comme toi, c’est un critère essentiel.

– Je ne dis pas le contraire mais n’oublie pas que la 604 c’est le modèle le plus haut de la gamme Peugeot alors que la W123 est la plus petite, une entrée de gamme, ça donne le niveau où se situe Mercedes ! Donc sachant qu’il y la « S » au-dessus, on n’est pas sur la même échelle de prestations.

– Oui mais la 604 est sensiblement moins chère : 70.500 F en boite cinq et toute équipée alors que pour la 300D, tu dois débourser 88.420 F et ça sans compter les options ! C’est quand même un sacré bon rapport qualité prix !

C’est à ce moment qu’intervient Marcel :

– Jean, tu as regardé chez Citroën ? Il y a la CX 2500 D, 75 ch., 15,3 mkg à 2000 tr/mn, 145 km/h. Des prestations déjà supérieures à ta 240D actuelle et dans un confort absolument royal. Et pour la Pallas en 5 vitesses, tu ne dois débourser que 61.450 F, vraiment moins chère que les deux autres !

– Oui Papa, je sais que tu ne jures que par Citroën mais la suspension hydropneumatique ne me laisse pas un bon souvenir quand on était à l’arrière de tes DS… De toute façon, c’est décidé, je vais prendre la Mercedes 300D, j’étais déjà chez le concessionnaire qui m’a fait une offre intéressante avec la reprise de ma 240D, je ne serai même pas emmerdé pour la revendre.

Voilà, à travers cet échange, on a déjà quelques indices qui ont fait le succès des berlines Mercedes entamé avec la berline W120 dites « ponton » de 1953, poursuivie avec les W111 puis les W114/115 et renforcé par la W123 qui nous occupe aujourd’hui. Plus de 2,7 millions d’exemplaires vendus pour cette dernière ! Pour un modèle de ce niveau de gamme, c’est remarquable.

Mercedes W123 dans un vert typique de son époque

La W123 est la quintessence de la berline Mercedes hyper classique, robuste, fiable et aux assemblages de meilleure qualité que la concurrence. Les ajustements entre les pièces intérieures, tableau de bord, panneaux de portes, etc… sont déjà d’un bon niveau et bien avant Audi, Mercedes savait construire une voiture. Idem pour les jeux entre les éléments de carrosserie, on a tendance à l’oublier mais tous les constructeurs ne savaient pas faire comme aujourd’hui et sur certaines voitures, on pouvait passer un doigt entre deux portes ! Pas chez Mercedes, tout était tiré au cordeau. Certes, la marque teutonne faisait payer chère cette qualité et avait la main lourde au niveau des tarifs. La conséquence étant un profil de clients au pouvoir d’achat assez conséquent, déjà bien installés dans la vie, donc avec une moyenne d’âge plus élevée que chez d’autres constructeurs. Mais sa robustesse et sa fiabilité en feront aussi un super candidat pour les chauffeurs de taxi qui la plébisciteront. Ceux-qui ont connus l’Allemagne des années 80 se souviennent qu’on en voyait à tous les coins de rue dans ce typique jaune des taxis Allemand. Cette réputation est allée bien au-delà des frontières germaniques car d’autres pays ont opté pour ce modèle. Certains exemplaires ont même connu plusieurs vies car recyclés dans de nombreux pays de la planète, à commencer par l’Afrique du Nord, remplaçant peu à peu ses 404 et 504 par des W123 qui cumuleront des centaines de milliers de kilomètres. On peut encore en croiser aujourd’hui.

Mercedes W123 Taxi d’Allemagne

Autre profession adepte de la W123 : les représentants de commerces qui trouveront en ses versions diesels un parfait compagnon luxo-économique. Je me souviens du père d’un copain, commercial dans les carburants, qui succédait les 200 D, 220D et 240D, toujours fidèle à Mercedes. La marque était, avec Peugeot, un pionnier de la motorisation diesel et la W123 s’est, avec 1,4 millions d’exemplaires, plus vendue dans cette motorisation qu’en essence. Aux Etats-Unis, ce sera un moyen de contourner la loi « Care » qui demandait aux constructeurs de baisser la moyenne des consommations de leur gamme. Ce pays aura même droit à la version Turbo Diesel avant les autres : la 300DT qui, développe 125 ch. et 25,5 mkg avec une vitesse de pointe de 165 km/h. En ce sens, ce modèle sera à l’avant-garde du boom des turbos diesels des années 90.  L’offre diesel était complète puisque démarrant avec un tranquille 200D suivi des 220D, 240D, 300D et TD. La plus vendue étant la 240D avec près de 500.000 exemplaires toutes carrosseries confondues. Pour les néophytes, la dénomination des modèles indiquant la cylindrée des moteurs : 200 pour un 2 litres, 220 pour un 2,2 litres, etc… La gamme essence n’est pas en reste, on y trouve en entrée de gamme une 200, suivie des 230/230E, 250 et au sommet de la gamme, les 280/280E qui jusqu’en 1982, auront l’exclusivité des phares carrés. Au-delà de cette date, c’est toute la gamme qui en sera doté, abandonnant définitivement les phares ronds. La version essence la plus vendue étant les 230/230E avec 550.000 exemplaires.

Mercedes W123 en version à phares carrés initialement réservè à la 280
Phares carrés étendus à toutes la gamme en 1982

Etant commercialisée en plein boom du tuning Allemand, la W123 n’échappera pas au phénomène et certains préparateurs comme AMG, vont s’occuper de son cas dévergondant quelque peu ce sage modèle. Je vous en propose ma vision et il faut avouer qu’une assiette rabaissée, des jantes larges et un petit kit carrosserie discret lui vont comme un gant et donnant une pointe d’agressivité qu’elle n’a évidemment pas du tout de série.

Mercedes W123 tuning
Mercedes W123 tuning bi-colore

La concurrence, BMW en tête puis plus tard Audi, venant de plus en plus chasser sur les terres de Mercedes, la marque comprit qu’il fallait rajeunir la clientèle pour continuer à exister dans de bonnes conditions. Ainsi, on décida en 1982 de descendre en gamme avec la « Baby Benz » 190 au style plus moderne. La W124, remplaçante de la W123, bénéficiera de la même attention. Plus tard, on va encore plus démocratiser la marque en sortant la Classe A, suivant en cela le mouvement des deux concurrents historiques.

Aujourd’hui, le style des Mercedes n’a plus rien à voir avec l’austérité et le classicisme de l’époque, les formes sont plus torturées (trop ?) et l’image est également moins exclusive, BMW et Audi ayant réussi à se faire une belle place sur le marché du Premium. Mais une Mercedes n’a jamais perdue cette image synonyme de richesse et de réussite car même les rappeurs se sont appropriés la marque dans leur clip, voire en ont fait le sujet d’un titre !

(1) Wagenfratz peut se traduire en  » tronche de voiture « 

(2) Surnom donné au radar gris sur trépied  » Mesta 206  » 

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